• Un Figaro 5; Margualette II

     

    Voici le très personnel récit de la construction d'un Figaro 5 Québécois tiré de la revue "Québec Yachting",
    numéro d'avril/mai 1979

     

    Un Figaro 5; Margualette II

     

     

     Marlaguette II
    Un Figaro Québécois fait main
    par Yvan Monnard, avril-mai 1979


    Je ne suis pas un marin. Plutôt un gars de la montagne, né entre Savoie et Romandie, installé au Québec depuis 12 ans.

    Le virus de la voile date du temps ou j'ai commencé à regretter les ascensions, les cabanes alpines, le goût d'un certain effort en contact avec la nature. J'ai essayé la forêt québécoise, mais j'y étouffais. Puis la voile, mais timidemet; Vaurien, 404, Code 40. J'ai décidé que mon fils allait avoir le goût de la régate... Et moi, celui de la croisière, peut être...

    Il a fallu, pour arriver au Figaro, que je rencontre René, lequel conservait dans son sous-sol de Vaudreuil le contreplaqué pour un Muscadet, endormi pour un temps par les nécéssités familiales.
    Que de projets nous sont passés par la tête ! Que de revues nautiques épluchées, de renseignements glanés ici et là ! Jusqu'au soir où il a bien fallu tout mettre ensemble et décider:
    « Alors, on la fait, cette chaloupe? »

    Je relèverai ici certains aspects personnels de l'expérience. La construction d'un voilier de 17 pieds n'a pas fait de moi un expert, loin de là...

    Ce qu'il faut noter, c'est que le projet était modeste, que mes ressources financières et techniques étaient limitées, et que le bateau qui en a résulté marche, et superbement.


    Je rentre d'un séjour de cinq semaines aux iles de la Madeleine, où je suis sorti avec des marins, en mer, par force 6-7. Le Figaro est sain, il ne se traine pas, même sous deux ris et tourmentin. Si mon expérience peut éviter à d'aucuns quelques erreurs coùteuses et aider d'autres à réaliser la leur, ce sera encore mieux.

     

     Trois facteurs fondamentaux m'ont préoccupé dans le choix d'un plan.


    Le programme du bateau

    Je voulais apprendre la voile, les rudiments de la navigation, la vie de ceux qui vont sur l'eau. Il fallait que je puisse le réaliser dans les eaux proches de chez moi: le lac Saint-Louis, le lac des Deux-Montagnes, le lac Saint-François, peut être le lac Champlain. Il me fallait un bateau rustique, marin, permettant de dormir a bord, d'y manger, de me mettre à l'ancre, de changer de voilure et d'être transporté sur une remorque.

    Les ressources

    Comme la plupart de mes collègues enseignants, je dispose de plus de temps que de de capital...
    Je possède un outillage électrique assez complet et j'ai acces a un atelier de menuiserie. Mon projet ne devait pas dépasser le prix d'un dériveur moyen pour lequel je ne me sentais plus l'âge, ni le goùt.

    La question familiale

    La grande oubliée, comme je l'ai appris par la suite de mes lectures et de mes contacts avec d'autres constructeurs...
    Mon voilier devenait donc, plus précisément, un dériveur lesté, coùtant moins de 3000 dollards, construit en contreplaqué, mesurant moins de vingt pieds et dont la construction allait me laisser disponible à mon « autre vie », et ne dépasserait pas une ou deux saisons. L'oiseau rare ! Je me consolai donc en considérant que tout bateau est une somme impressionnante de compromis, que l'idéal n'était pas de ce monde et que le principal était de commencer !

     

     Jean-Jacques Herbulot venait de faire diffuser, par le journal parisien Le Figaro, les plans d'un mini-croiseur que j'aurais préféré québécois et qui s'ajustait assez bien a mes projets. Entre temps, j'avais été intéressé par le système WEST de saturation d'un contreplaqué de qualité « extérieure » a l'époxy. Une courte correspondance échangée avec l'architecte me convainquait que l'adaptation était possible. Nous étins fin octobre,le rêve pouvait naviguer à la fin du printemps, tout était clair, pas d'écueil sur la route, en avant donc pour les premiers travaux !

    Quelques éléments sont venus bien vite s'inscrire de manière désordonnée dans ce que je pensais un projet simple, logique, un de ces projets que, selon une certaine publicité, « toute personne inexpérimentée et normalement douée de ses dix doigts, peut mener à bien ».

    Par exemple, en vrac: 
    -impossibilité subite de circuler dans un sous-sol envahi par cent morceaux de bois enduits d'époxy, chaque pièce du 
      Figaro étant saturée 3 fois sur toutes ses faces.
    -difficulté à trouver 15 feuilles de 4x8 en 3/8 de pouce qui auraient 5 plis
    -interprétation parfois délicate d'un plan dessiné pour le constructeur amateur, avec les délicieuses transpositions en
      système impérial de mesures anglaises, hors desquelles les gars des cours a bois pensent que l'on parle javanais
    -le nombre requis de presse à bois (clamps-serres-joints), le nombre astronomique de vis inox et leur prix, l'odeur de l''époxy qui envahit la maison et surtout, l'envahissement inéluctable de l'esprit, du temps, de la disponibilité du pauvre constructeur qui s'aperçoit, un peu confus, qu'il pense bateau, qu'il mange bateau, qu'il rêve a son collage, qu'il patente des « scarfs » plusieurs semaines à l'avance, qu'il se réveille en pleine nuit avec la certitude d'avoir enfin trouvé « le truc » pour l'assemblage de ses lisses sur son étrave...

    Etant de caractère assez pragmatique, loin du rêveur, j'ai vécu cet envahissement de moi-même par leprojet de manière assez étonnée. En bref, je ne pensais pas en arriver là ! Et c'est vrai, a part ma profession pour laquelle je me suis toujours passionné, ma vie de tous les jours s'est trouvée totalement orientée vers ce bateau, durant plusieurs mois. D'ou mon insistance à évoquer un des trois facteurs fondamentaux du début: la question familiale, car...

    De deux choses l'une: la compagne du monsieur qui va construire un bateau veut être une part active du projet, elle vivra ce dernier comme son bonhomme le vivra (c'est a dire chaque minute de son temps, jour et nuit) et dans ce cas, il n'y aura pas de problème, ou alors, ladite compagne sera hors du coup, une sorte de victime assumant durant des mois, si ce n'est pas des années toute la vaisselle, tous les soins domestiques, toute la responsabilité des enfants.

    J'en ai trois, de 9, 10 et 12 ans. Un seul d'entre eux a fait de la voile son passe-temps favori. Les filles aiment l'eau, de préférence celle de la piscine.

    Monique, mon épouse est -bénédiction, je le précise- une femme en voie de libération. Pour elle, la voile...et bien oui, pourquoi pas s'il fait beau, mais pas toujours, pas partout, pas chez elle, pas dans son salon, dans son sous sol, dans toutes les conversations, sujet de tous les téléphones, dans le courrier, dans les factures, à toutes les sauces...

    La négociation a été dure !
    Ce projet, il fallait que je le réalise et Monique, qui réalise d'autres projets, devait le comprendre.

    Devant l'envahissement et les à-coups familiaux, je me suis félicité d'avoir été décent dans l'ampleur de mon projet. J'ai tenté de conserver une certaine disponibilité aux miens qui, cela devait être clair pour moi, m'étaient plus chers que le bateau.

    J'ai parfois eu peur. J'ai pensé que Monique allait être la pire ennemie du Figaro... jusqu'au jour où, miracle, elle est acheter le tissus pour les coussins de la petite cabine !
    Je me suis permis d'insister sur cette question, car on en parle peu et je suis convaincu qu'elle se trouve au centre de bien des projets énormes, de beaucoup de 45 pieds rêvés pour le charter aux Antilles, qui dorment dans des cours d'en-arrière, avec des équipages épuisés, déchirés par le bateau qui devaient les rassembler.

    L'hiver, ainsi, s'est passé, entre cloisons qui  prenaient allure, le Marathon canadien de ski et discussions passionnées sur la valeur humaine de ce projet, ses risques et ses gratifications.
    D'un point de vue plus technique, j'ai choisi un plan, dessiné pour des constructeurs amateurs par un architecte de renom et je m'en suis tenu au millimètre près. Entre l'ile d'Entrée et Hâvre-Aubert (Iles de la Madeleine), cet été, par force 5, je m'en suis félécité. Je ne nie pas qu'il existe des intuitifs qui peuvent se permettre de déplacer un centre de dérive ou modifier un rouf pour y loger leurs six pieds. Pour moi, dans expérience préalable, Jean-Jacques Herbulot savait ce qu'il faisait. Si sa dérive de 200 livres me paraissait une aberration, j'en comprends aujourd'hui la raison- et le poids !

    Saturer chaque pièce de bois d'un bateau de trois couches d'époxy prolonge le travail et alourdit la construction. En calculant l'échantillonnage, je suis aujourd'hui convaincu que cette solution est une
     des seules qui soit satisfaisante pour celui qui n'est pas professionnel du bois. L'avantage des collages à l'époxy, en particulier, est décisif. Voici cinq ans, j'avais construit un optimist en utilisant de la colle à la résorcine, avec laquelle chaque assemblage doit être parfait. Quel travail !

    Les bordées du Figaro ont été « scarfées » chacun deux fois (pour atteindre environ 18 pieds de longueur avec des feuilles de 4x8), il y a donc 12 collages en sifflet sur le bateau, qui travaillent à l'arrachement, étant donné la courbure des bordées et après deux saisons, il m'est impossible de distinguer la trace de cescollages, pourtants réputés délicats.

    Autre aspect technique, le temps passé sur une telle construction.
    Je n'ai pas tenu un compte précis de mes heures de travail, que j'évalue à 600-650 heures, auxquelles j'en ajoute 300 passées à écrire, téléphoner, rechercher, faire des achats en ville pour des vis inox, ailleurs pour des ferrures ou des voiles, discuter des points difficiles d'interprétation des plans, etc. Dans ces cas là, un ami est précieux, surtout s'il a construit lui-même un bateau, s'il est sympathique au projet et disponible pour les travaux acrobatiques comme le retournement de la coque ou le lettrage final.

    J'ai mis à profit les mois d'octobre à avril pour la préparation de toutes les pièces d'avant-chantier. Celui-ci a été édifié dans ma cour, dès la fonte de la dernière neige. Jolie surprise d'établir, parfaitement de noveau, une armature de 2x6 qui, le lendemain, n'était plus du tout plane !
     Evidemment, aucune revue spécialisée ne tient compte du gel-dégel québécois dans ses conseils pour confectionner un chantier !

    Le bateau devait naviguer dès le début de la saison. Autre surprise à laquelle je m'étais attendu progressivement: faire une coque représente environ le tiers du travail. Finalement, Marlaguette II
    a subi son baptême au champagne à la fin juillet.

    On peut considérer ces 1000 heures de travail sous deux aspects:
    -Si je revends mon bateau 4500 dollards, je m'octroie un salaire de 2,50 dollards l'heure, qui est très inférieur au salaire minimum...
    -Autrement intéressant a été pour moi l'apprentissage que j'ai pu faire. Je suis encore émerveillé de cet aspect là qui, à lui tout seul, m'a gratifié de ma détermination. Sentiment étrange  que celui de découvrir qu'en fixant des varangues à une quille, on participe à l'histoire millénaire de la navigation et on met en oeuvre, modestement, une parcelle de savoir, d'expérience et de sagesse acquises par tous les hommes qui ont construit des bateaux depuis la nuit des temps. Je me plais à l'avouer, j'ai été, durant ces heures, parfaitement heureux et ce prix-là ne peut entrer dans l'évaluation purement financière de mes heures de travail.

    Le reste n'est que littérature et croisières à venir. Des améliorations aussi, mais en prenant soin d'éviter la course à l'accastillage inutile: une deuxième ligne d'ancre, une balancine, un balcon pour permettre au mousse de changer un foc sans dessaler.

    Evidemment, le Figaro est un petit bateau. Cinq personnes y sont à l'aise pour une ballade, mais c'est un bateau pour deux dès que l'on choisit de passer la nuit à bord.

    Marlaguette I était un vieux Firefly de plus de vingt ans d'âge. Marlaguette s'en va demain sur le lac Champlain. Il y aura Marlaguette III, avec quelques pieds de plus, une quille peut être, mais je tiens aux petits mouillages au fond des baies, et je ne le construirais pas. Tout compte fait...


    Je préfère continuer d'apprendre a naviguer !


    Bibliograhie

    Gutelle Pierre, Construire son bateau en bois moulé ou en contreplaqué, Editions du Compas, Paris 1972 / Un livre indispensable, une mine de renseignements précis, clairs, parfaitement adaptés à une telle construction.

    Stewart, R.M., Construction des bateaux en bois, Editions Maritimes et d'Outre-mer, 5ème édition, Paris, 1974 / trop classique pour être ignoré !

    Glen, L., Plywood Boatbuilding / Encore un livre prêté qu'on ne m'a pas rendu, il me manque les précisions, mais ses photos de bateaux en cours de construction sont une source d'informations très valables.

    Frisbie, Richard, Basic Boatbuilding, Fitshenry Whiteside, Don mills, Ontario, 1975 / Délicieusement écrit, plein d'astuces et d'ironie, utile à chaque page pour une construction

    Un Figaro 5; Margualette II

     


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